> Robert Doisneau - Fondation Henri Cartier-Bresson
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La voiture fondue, 1944 ©Atelier Robert Doisneau
Le vélo de Tati, 1949 ©Atelier Robert Doisneau
Football, Choisy le Roi, 1945 ©Atelier Robert Doisneau
Jeux africains, 1945 ©Atelier Robert Doisneau
Bidonville à Ivry, 1946 ©Atelier Robert Doisneau
Le nez au carreau, 1953 ©Atelier Robert Doisneau
Cachan, 1948 ©Atelier Robert Doisneau
Un vendredi HCB _ RD
Lettre d'Henri Cartier-Bresson à Robert Doisneau
Robert Doisneau, Paris, 1986 ©Henri Cartier-Bresson/Magnum Photos/Courtesy Fondation Henri Cartier-Bresson
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Vue de l'exposition "Robert Doisneau, Du métier à l'oeuvre"

Robert Doisneau

Du métier à l'oeuvre

du 13 janvier au 18 avril 2010

Comme tous les familiers de la rue, Doisneau a su fixer cette gravité rayonnante qui isole un être humain de la foule, ces moments de grâce qui rassemblent des passants dans « l’illusion d’un instant » comme dans une géométrie de rêve. Jean-François Chevrier

Longtemps Robert Doisneau a été perçu comme le chantre du pittoresque parisien. Illustrateur de génie, il a su comme personne saisir l’image agréable, l’anecdote inattendue : on a reconnu en lui le professionnalisme et la poésie simple de l’instantané. Mais l’œuvre de Robert Doisneau est infiniment plus complexe.

L’exposition de la Fondation Cartier-Bresson propose une sélection d’une centaine d’épreuves originales, choisies en majorité parmi les trésors de son atelier et dans diverses collections publiques ou privées. Les images présentées ont été réalisées entre 1930 et 1966 à Paris et dans sa banlieue. Cette relecture tend à montrer comment Robert Doisneau est passé « du métier à l’œuvre »*, avec une gravité insoupçonnée, en inscrivant sur la pellicule un monde dont il voulait prouver l’existence.

Le catalogue, publié en français par Steidl est accompagné d’une introduction d’ Agnès Sire et d’une relecture mise à jour de l’étude que le critique d’art Jean-François Chevrier avait consacrée à Doisneau en 1983. Cet ouvrage présente un visage inédit du célèbre photographe qui prétendait photographier pour survivre ; l’œuvre ainsi abordée prend un sens différent, par la sélection remarquable, exigeante et sensible qui est proposée. On percevra naturellement que c’est ce sentiment d’insuffisance de l’enregistrement photographique (..) constitutif d’un art qui procède de l’émotion, qui, allié à un besoin de réalisme, fait la force des images de Doisneau.

Une grande complicité le liait à Henri Cartier-Bresson ; aussi enfantins l’un que l’autre dans leurs rires, ils ne manquaient cependant pas de se consulter sérieusement dès que le métier l’exigeait. Notre amitié se perd dans la nuit des temps, écrivait HCB en 1995, nous n’aurons plus son rire plein de compassion, ni les réparties percutantes de drôlerie et de profondeur. Jamais de redite, chaque fois la surprise. Mais sa bonté profonde, l’amour des êtres et d’une vie modeste, est pour toujours dans son œuvre. Ils n’avaient pas la même conception de la photographie, l’imparfait de l’objectif de Doisneau se conjuguant mal avec l’imaginaire d’après nature d’un Cartier-Bresson, plutôt adepte de la rigueur, influencé par la peinture et le dessin et hostile au recadrage. La revue Le midi illustré , rapporte que lors des obsèques de Robert Doisneau , Cartier-Bresson a jeté dans la tombe de son copain une moitié de pomme, puis a croqué l’autre dans un geste de communion profane, posture qui en dit long sur la fraternité simple des deux hommes.

Né en 1912 à Gentilly, en banlieue parisienne, Robert Doisneau grandit dans un univers petit-bourgeois qu’il exècre. Formé à l’Ecole Estienne il obtient un diplôme de graveur lithographe et devient dessinateur de lettres à l’Atelier Ullman, spécialisé dans les publicités pharmaceutiques. En 1931, il est engagé par le sculpteur André Vigneau comme opérateur. Entre deux missions, il arpente les rues de Paris et de banlieue, faisant de ces lieux son studio. Tout au long de sa vie, Doisneau a été fasciné par la banlieue. Jean-François Chevrier parle du besoin de Doisneau de fixer ce qui était en train de disparaître et de laisser le souvenir de ce petit monde qu’il aimait. Il admirait Eugène Atget qui avait bien plus tôt photographié Paris, ses rues, ses places publiques ou ses théâtres de boulevard. Son premier reportage sur le marché aux puces de Saint Ouen est publié en 1932 dans Excelsior . Après avoir effectué son service militaire dans les Vosges, il retrouve Lucien Chauffard, rencontré à l’Atelier Ullman, au service photo des usines Renault à Boulogne Billancourt. Pendant 5 ans, il photographie les ateliers, les foules d’ouvriers, les chaînes de montage… Il est licencié en 1939 pour retards répétés.

Cette même année, il rencontre Charles Rado, fondateur de l’agence Rapho, qui lui propose un contrat de photographe-indépendant. La réalisation de sa première commande est interrompue par la déclaration de guerre. Mobilisé à l’est pendant le début de la guerre, il est réformé en février 1940 et rentre à Paris. En juin, à l’arrivée des nazis, il quitte la capitale et se réfugie dans une ferme dans le Poitou pendant quelques mois. C’est dans cette région qu’il réalisera 10 ans plus tard quelques unes de ses photos les plus célèbres telles que le ruban de la mariée. Pour survivre pendant cette période où les commandes sont rares, il fabrique des cartes postales en photographiant les monuments napoléoniens et les vend au musée de l’Armée. Il met également son talent de graveur au service de la Résistance en fabriquant de faux-papiers. En 1945, Robert Doisneau rencontre Blaise Cendrars à Aix-en-Provence grâce à Maximilien Vox qui l’envoie en commande pour l’Album du Figaro . L’écrivain est l’un des premiers à s’intéresser au travail du photographe sur la banlieue et à l’encourager dans cette voie. L’ouvrage La banlieue de Paris , publié en 1949 scelle cette collaboration et annonce les projets de Doisneau réalisés avec d’autres écrivains.

L’Agence Rapho est relancée en 1946 par Raymond Grosset, Doisneau reprend alors sa place de photographe indépendant. Grâce à Grosset, Doisneau signe un contrat avec Vogue pour réaliser des photos de mode mais il n’est pas à l’aise dans ce milieu, il ne sent pas à sa place. Il préfère photographier le monde de la nuit et de la cloche avec Robert Giraud, rencontré en 1947. Ensemble, ils tenaient une rubrique à 4 mains pour Paris-Presse L’intransigeant . C’est en sa compagnie qu’il réalise une grande partie de ses photos de bistrots des années 50, en traînant dans les quartiers des halles ou Mouffetard. Giraud connaît parfaitement le milieu, il présente à Doisneau nombre de personnages présents dans l’exposition tels que Richardot le tatoué, Pierrette d’Orient l’accordéoniste ou Anita, la jeune femme mélancolique. Robert Doisneau est un homme discret, attaché à son pays, parlant mal l’anglais et voyageant peu. Néanmoins, en 1960, il se rend aux Etats-Unis pour photographier Jerry Lewis sur un tournage à Hollywood et en profite pour faire des photos avec son ami Maurice Baquet à New York. Il réalise également un reportage en URSS pour le journal de la CGT La vie ouvrière (sur les réalisations du cinquantenaire du pays).

Dans les années 80, à la demande de la DATAR, il explore à nouveau la banlieue, son espace de prédilection, en réalisant une mission en couleur. Ma vie est télescopique, disait-il, une suite de rencontres heureuses ou malheureuses, une improvisation au jour le jour, En effet, au fil des années, Doisneau s’est lié à de nombreux artistes, écrivains, peintres, acteurs : de Jacques Prévert à Jacques Tati, de Saul Steinberg à Pablo Picasso, de Daniel Pennac au chanteur Renaud et Sabine Azéma, sa grande amie qui lui consacra un film pour ses 80 ans. Ces rencontres ont façonné l’histoire de sa vie. Le photographe décède à Paris en 1994 en laissant une œuvre aux multiples entrées.

C’est toujours en ironisant sur lui-même, que Doisneau abordait son travail, qui n’était pour lui que l’antidote à l’angoisse de ne pas être. Jongleur, funambule, illusionniste pour encore plus de réalisme, tel est le paradoxe trompeur de celui qui voulait « réussir ses tours comme le font les artistes du trottoir », avec la lucidité pudique d’un artiste malgré lui.

* l’expression est de Jean-François Chevrier

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