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du 10 mai au 26 août 2007
« Ladli » succède à mon précédent livre, « Moksha », où je m’intéressais à l’existence de certaines femmes en Inde, qui, une fois veuves, se trouvent abandonnées et dans certains cas maltraitées par leur famille, de sorte qu’elles quittent leur foyer et partent, comme des centaines de milliers de veuves indiennes avant elles, pour la ville sainte de Vrindavan. Là, elles consacrent le restant de leurs jours au culte de leur dieu Krishna. Les histoires que ces femmes m’ont racontées – sur leur mariage alors qu’elles étaient encore enfants, sur les sévices infligés par leur mari, qui les quittait parfois, les mauvais traitements de la part de leur belle-famille, la disparition du respect de soi, la perte de leurs droits juridiques et économiques – tout cela m’a montré la vulnérabilité des femmes dans la société indienne traditionnelle. J’ai compris que, même aujourd’hui, alors que l’Inde rejoint rapidement le groupe des nations les plus évoluées du monde, depuis leur conception, leur sexe même transforme de nombreuses femmes en victimes potentielles d’un système patriarcal qui entérine tacitement leur exploitation, les mauvais traitements qu’elles endurent, voire leur mort. (…) Quand je lis dans la presse les louanges adressées à l’Inde pour son entrée miraculeuse sur la scène économique mondiale, je m’interroge sur l’avenir des femmes dans un pays qui avance très vite vers un avenir glorieux. – Fazal Sheikh
Le 6 juin 2005, suite aux délibérations qui se sont tenues à la Fondation HCB à Paris, le jury international du prix Henri Cartier-Bresson a désigné Fazal Sheikh pour son essai «Moksha» et son projet «Ladli», témoignages sur les destins douloureux des veuves et des fillettes en Inde aujourd’hui.
La Fondation montre les deux essais «Moksha» et «Ladli», ensemble de portraits, noir et blanc, et de témoignages réalisés par Fazal Sheikh en 2005 et en 2006. Comme pour tous ses précédents travaux, Fazal Sheikh a passé beaucoup de temps avec les personnes photographiées, écoutant leurs récits qui révèlent les souffrances causées aux femmes par des traditions toujours en vigueur dans la société indienne.
Moksha, «le paradis»
Depuis 500 ans, la ville sainte de Vrindavan, dans le nord de l’Inde, est un refuge pour les veuves indiennes dépossédées de tout. Rejetées par leur famille et condamnées par la stricte loi martiale qui nie tous leurs droits, certaines décident de rejoindre Vrindavan dans des conditions difficiles, parfois au péril de leur vie. Leur rêve le plus cher est d’atteindre Moksha – le paradis – où elles seront libérées du cycle de mort et de réincarnation et où elles vivront entourées de leurs dieux pour toujours. Moksha réunit les portraits de ces femmes et leurs témoignages, récits bouleversants de cruauté et de dénuement. Fazal Sheikh s’est attaché à rythmer le livre et l’exposition d’images poétiques montrant leur environnement, paysages et sanctuaires, qui plongent immédiatement le lecteur dans l’intimité tragique de ces femmes.
Ladli, « fille adorée »
Dans la société indienne traditionnelle, une fille est parfois un fardeau ; sa famille devra constituer une dot importante pour qu’elle se marie – bien souvent dès l’enfance – et qu’elle intègre ainsi de façon digne la famille de son époux. A cause de cette coutume onéreuse, les fillettes doivent bien souvent endurer dès la naissance des sévices inimaginables et souvent, l’abandon dans un orphelinat. Mais surtout, avec les techniques modernes d’investigations prénatales, l’avortement des foetus de filles s’est multiplié : « Dépensez cinq cents roupies aujourd’hui, économisez-en cinquante mille demain », allusion aux économies réalisées par une famille grâce à l’avortement du foetus, en évitant ainsi le coût d’une dot, indispensable pour marier une fille. Fazal Sheikh a pu travailler avec diverses organisations indiennes qui lui ont permis de rencontrer des fillettes et des adolescentes, pour recueillir leurs témoignages. Fazal Sheikh, né à New York en 1965, est le lauréat de nombreuses récompenses prestigieuses. Ses travaux ont été exposés et font partie des collections des plus grandes institutions photographiques internationales.
Artiste engagé, il attache autant d’importance aux photographies qu’aux récits qui les accompagnent. Son talent de photographe-écrivain lui permet de s’attacher réellement à ces femmes, non comme victimes symboliques, mais comme personnalités authentiques, nommées, qui se dévoilent dans un face à face direct et intime.
En vivant pendant de longues semaines au sein des communautés qu’il étudie, en partageant leur quotidien avant de les photographier, il donne à ces images et à ces mots une profondeur liée à son engagement personnel : un sincère respect des croyances, des sentiments et de la nature humaine, une volonté farouche d’éveiller les consciences.
Le Prix HCB 2005 est rendu possible grâce à la Banque de Neuflize OBC et de Neuflize Vie.