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du 18 janvier au 9 avril 2006
Pour cette première exposition consacrée aux collections de la Fondation, nous avons choisi de montrer une sélection de portraits réalisés par Henri Cartier-Bresson tout au long de sa vie. Le long travail d’inventaire, toujours en cours, nous permet aujourd’hui de mieux appréhender le patrimoine qu’Henri Cartier-Bresson a légué à la Fondation, et de le faire partager. C’est la première fois que les portraits d’Henri Cartier-Bresson font l’objet d’une exposition importante en France.
L’exposition rassemble une centaine de photographies réalisées entre 1931 et 1999, principalement en Europe et aux Etats-Unis. Les tirages sont souvent d’époque, signés, et parfois tirés par Cartier-Bresson lui-même. Cette collection comprend des portraits devenus emblématiques, comme ceux de Jean-Paul Sartre, de Marilyn Monroe ou de Samuel Beckett, mais aussi des images moins connues. Ecrivains, peintres, sculpteurs, acteurs, cinéastes, amis, proches ou anonymes, tous ont en commun ce regard perdu dans une profonde intériorité, dans leur monde propre – totalement oublieux de celui qui les photographie.
Cette sélection se veut très sobre, évitant au maximum l’expression appuyée de la pose : « Je cherche surtout un silence intérieur. Je cherche à traduire la personnalité et non une expression », disait Cartier-Bresson. A cet égard, il racontait volontiers sa «rencontre» avec Frédéric et Irène Joliot-Curie : «J’ai sonné, la porte s’est ouverte, j’ai vu ça, j’ai tiré, j’ai dit bonjour après, ce n’était pas très poli»; ou bien celle avec Ezra Pound qui ne fut qu’un « très long silence qui a semblé durer des heures ». Ces quelques lignes introductives à son livre Images à la sauvette (publié par Tériade en 1952) – d’une étonnante modernité – parlent d’elles-mêmes : « A l’artifice de certains portraits, je préfère de beaucoup ces petites photos d’identité serrées les unes contre les autres aux vitrines des photographes de passeport. A ces visages-là on peut toujours poser une question, et l’on y découvre une identité documentaire à défaut de l’identification poétique que l’on espère obtenir. »
C’est son amour pour la peinture qui avait conduit Cartier-Bresson, à la fin de la guerre, à photographier des peintres pour l’éditeur alsacien Pierre Braun ; il se rendit ainsi à plusieurs reprises chez Matisse, Bonnard, Braque, … « Quand j’allais chez Matisse, je m’asseyais dans un coin, je ne bougeais pas, on ne se parlait pas. C’était comme si on n’existait pas. » Plus tard, parfois dépêché par de prestigieux titres américains comme Harper’s Bazaar, Vogue, ou Life, il eut accès à de nombreuses personnalités, que son goût personnel pour les lettres, les arts ou la recherche et sa curiosité insatiable pour l’être humain le poussaient à rencontrer. Et toujours dans la plus grande discrétion, « à la sauvette », avant que le modèle ne se fige, en silence.
« Tout portrait est un autoportrait », les peintres l’ont beaucoup dit et la photographie telle que Henri Cartier-Bresson l’a pratiquée est une vision du monde très personnelle. N’ayant rien à démontrer, bien conscient qu’il n’y a aucune vérité objective, il ne se reconnaissait pas dans le journalisme sauf « au sens du journal intime » ou du carnet de croquis. Tout le monde connaît l’aversion qu’il éprouvait pour la caméra pointée sur lui ; peut-être ressentait-il, comme Roland Barthes, la fausseté de la situation : « Très souvent (trop souvent à mon gré) j’ai été photographié en le sachant. Or, dès que je me sens regardé par l’objectif, tout change : je me constitue en train de poser, je me fabrique instantanément un autre corps, je me métamorphose à l’avance en image. » (in La Chambre claire ).
Après avoir officiellement décidé d’arrêter le reportage, à la fin des années soixante, pour revenir à ses premières amours, le dessin, Henri Cartier-Bresson continuait cependant à photographier des visages : cette passion pour « l’être mis à nu » derrière l’objectif, pour cet échange en tête-à-tête, ne s’est jamais érodée.
Agnès Sire, directrice de la Fondation et commissaire de l’exposition, a tenu à réunir tous ces « silences intérieurs », à exposer ces rencontres, non seulement pour rendre hommage une fois de plus au talent de Cartier-Bresson, mais surtout, pour « faire étinceler autant de parcelles de son être, car le regard des portraits, c’est avant tout son regard – suspendu au fil de l’autre ».
Un catalogue a été publié en collaboration avec Thames & Hudson. Introduction d’Agnès Sire, préface de Jean-Luc Nancy.